RESTEZ  JE  PARS 

 

 

 

 

 

 


poème scénique

(extraits)

 

 

 

Elisabeth Boshandrey

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

l’esclave                                     une  femme

 

 

 

 

l’homme                                     un homme

 

 

 

 

la femme                                    jouée par trois comédiennes

                                                   (chanter, parler et langage des gestes)

 

 

 

l’argent                                      porte un masque. Lit tous ses textes

 

 

 

 

musiciens                                  percussions- accordéon

 

 

 

 

 

tous sont pieds nus

 

 

 

 

 

 

 

Merci à Eduardo Galeano pour son ouvrage « Les veines ouvertes de l’Amérique Latine » dont le travail érudit nous a permis d’accéder de façon pratique et rapide aux citations des auteurs cités par le personnage « l’argent ».

 

 


 


l'homme

parce que je suis l'herbe sous la pluie qui danse

je ne suis pas seul

parce que je suis l'eau qui coule

je ne suis pas seul

parce que je suis le vent qui hurle

parce que je suis le vent qui rit

je ne suis pas seul

parce que je suis le sable qui coule

je ne suis pas seul

parce que je suis la fleur qui se fane

parce que je suis l'animal qui meurt

je ne suis pas seul

parce que je suis l'homme qui naît

parce que je suis l'amour qui meurt

parce que je suis

je ne suis pas seul

et toi ?

 

 

l'esclave

je me hurle en silence une sculpture de douleurs

une sculpture de rage où je m'encage

 

 


l'homme

un arbre

un arbre comme une larme de la Terre pour le ciel

un arbre comme une femme qui nous enfante et nous tue

un arbre pour nos arcs un arbre pour nos flèches

un arbre pour son sang que nous récoltons jour après jour

seringueiros    seringueiros

et notre sang emplit vos vies

un arbre

restera-t-il un arbre pour conter notre histoire

pour dire les Hommes et leur folie ?

un arbre

restera-t-il un arbre ?

 

 


l'esclave

quand t'as mal à crever

que t'as pas le coeur à crever

qu'est-ce que tu fais toi ?

qu'est-ce que tu fais ?

 

l'homme

je me découpe sur le fond de mes vies

et me sculpte un avenir où je ne suis pas

 

l'argent

"Le jour n'est pas éloigné où les trois drapeaux étoilés signaleront en trois points équidistants l'étendue de notre territoire : l'un au pôle Nord,l'autre sur le canal de Panama et le troisième au pôle Sud. Tout l'hémisphère sera, de fait, le nôtre comme il l'est déjà moralement en vertu de la supériorité de notre race."

 

la femme

moi à écouter vos mots dont je ne comprends rien

je m'entourne

 

 

 


l'homme

des petits bouts de bois

des petits bouts de toi

des petits bouts de moi

et j'allume un grand feu

 

la femme

je suis une herbe sauvage

goûtez-moi

je suis un animal sauvage

caressez-moi

mais

m'apprivoisez pas

laissez-moi

sauvage

être

 

 

 


l'esclave

un jour

je me suis assise sur les bords de mon coeur

dans le silence de moi-même

et du plus loin de ce silence

les Arbres parlèrent...

je m'en vais vous conter ce qu'ils me racontèrent :

« il y a très longtemps dans un temps différent

quand les Hommes n'étaient pas nés

quand la Terre n'existait pas

quand le Soleil ne brillait pas

dans ce temps différent

nous les Arbres habitions une étoile

celle que tu vois là-bas

tout au fond de la nuit quand la nuit est claire

quand la nuit est belle

celle que tu vois là-bas près de l'étoile que tu appelles Polaire

cette étoile pâle comme la soie

cette étoile avec un air de sourire triste

dont la musique te ferait pleurer si tu pouvais l'entendre....

c'est la nôtre

c'est l'étoile des Arbres

morte il y a si longtemps dans un temps différent...

il nous semble à nous les Arbres

quand nous la regardons

que tant que son sourire triste viendra à nous

que tant que sa musique nous parviendra

il nous semble que nous ne mourrons pas

il nous semble être encore chez nous sur son sol

quand l'air que nous respirions chez elle n'était que musique

n'était que couleurs

quand nous pouvions danser

quand nous pouvions chanter

nous les Arbres

quand nous habitions notre étoile....

mais l'étoile vieillissait et nous dansions

mais l'étoile se mourait et nous dansions

fous que nous étions

dans ce temps différent

un jour l'étoile est morte

et par le vent par les airs nous avons voyagé

nous avons traversé tant et tant de temps différents

que je ne saurais te les dire...

un jour

nous sommes arrivés dans ce temps-là où nous sommes

et nous avons vu la Terre bleue et le Soleil jaune

nous nous sommes arrêtés sur le bleu de la Terre

puis les Hommes sont venus

et nos chants et nos danses se sont arrêtés...

mais quand la Terre mourra

nous partirons pour des temps différents

et nous redanserons et nous rechanterons

dans un temps différent."

voilà ce qu'un jour où j'étais assise sur les bords de mon coeur

me contèrent les Arbres..... depuis je regarde l'étoile....

 

 

 


l’argent

« Beaucoup, comme passe temps, s’empoisonnèrent pour ne pas travailler et d’autre se pendirent de leurs propres mains. »

Fernandez de Oviedo – 16è siècle- Antilles-

 

 

l’esclave

vous avez fait  de la Terre un cimetière

mais elle fera de vous une tombe

 

 

l’homme

quand ma rage sortira

je vous décalotterai

 

 

la femme

chut

je suis en silence pour écouter la mer

 

l'homme

la rivière

comme un mot qu'on ne prononce pas

comme une couleur qu'on ne voit pas

la rivière

comme un son qui se meurt ou qui naît

la rivière

et mon corps est une eau en mouvance

la rivière

par quels barrages l'avez-vous tuée

par quels poisons l'avez-vous assassinée

la rivière est morte

et nous n'avons plus rien plus rien

il nous faut partir il nous faut partir

vous avez fermé la porte de l'eau

et les Dieux nous ont quittés

il nous faut partir

 

 

 


la femme

ne me touchez pas

je suis en terre

et la Terre est fragile

ne me touchez pas

 

l'homme

quand tout est foutu

quand t'as tout perdu

quand t'as tout cassé

que tout est bousillé

qu'est-ce que tu fous toi ?

qu'est-ce que tu fous ?

 

l'esclave

je me fouette en éclats de rire

 

 


l'argent

«II ne faut accepter en aucune manière que les administrateurs

donnent des coups de pied principalement dans le ventre des femmes enceintes ou qu'ils bâtonnent les esclaves, car sous l'effet de la colère on ne mesure pas le châtiment, et ils peuvent atteindre à la tête un esclave travailleur qui vaut beaucoup d'argent et le rendre infirme."

Antonil - jésuite - 18è siècle - Brésil –

 

 


la femme

ils ont pris des pelles

ils ont pris des machines

ils ont pris des hommes pour t’ouvrir le ventre

Montagne ma belle déesse

Montagne ma terre

Ils t’ont ouvert le ventre pour voler tes entrailles

avec avidité ils se sont emparés

du charbon de l’argent du mercure et du fer

que t’avait confié la Terre

avec avidité ils t'ont vidé

montagne ma belle

en ton ventre ils ont enfermés mes enfants

et mes enfants sont morts pour t’avoir étripée

Montagne ma déesse

Ils ont déboisé tes flancs et ton sol est à nu

Et tu n’as plus de larmes pour nous abreuver

Montagne ma terre

toi et moi où allons-nous mourir ?

 

 

 


l'esclave

nous prions nos Dieux

ils nous ont suivi

nous prions nos Dieux

quand nous avons perdu la guerre

quand les guerriers nous ont vendu aux Sans-couleur

quand on a vu la Grande Eau

quand on a vu les bateaux

nous avons pleuré nous avons gémi

nous prions nos Dieux

ils nous ont suivi

nous prions nos Dieux

sur cette Terre où nous sommes arrivés

c'est le Maître des Sans-couleur

qui nous a broyé

nous prions nos Dieux

ils nous ont suivi

nous prions nos Dieux

nous avons pris le chemin de la montagne

nous avons pris les graines dans nos cheveux

nous les avons plantées nous étions heureux

nous prions nos Dieux

ils nous ont suivi

nous prions nos Dieux

vous êtes venus nous chercher

nous avons pris les armes

vous avez gagné la guerre

vous nous avez enchaîné

nous prions nos Dieux

ils nous ont suivi

nous prions nos Dieux

nous partions volontaires pour la mort pour une autre vie

vous nous avez coupé bras jambe pied main

nous sommes restés pour ne pas renaître estropiés

nous prions nos Dieux

ils nous ont suivi

nous prions nos Dieux

 

la femme

un bonheur de la vie

c'est un enfant qui court après vous

pour vous parler d'oiseaux

 

l'argent

"La traite des nègres est à recommander pour l'essor de la marine marchande nationale."

Colbert - ministre de Louis XIV – France

 

l'esclave

les Hommes

comme un pont du Ciel à la Terre et de la Terre au Ciel

mais à combien d'arches ?

 

 


   l'homme

Monsieur le Sans-couleur

je danse

et dans mes bras en fête

se tient une femme

une femme de tête

une femme de corps

une femme ronde et bleue

mais le vert lui sied bien

dans mes bras en fête

se tient une femme

qui doucement de la peste se meurt

sous les termites sa beauté disparaît

mais elle et moi on s'aime

alors on danse la valse de l'Amour

pour oublier pour se saouler

love waltz blue love waltz

dans mes bras en fête

se tient une femme

elle a pour doux prénom

celui de Pacha celui de Galia

dans mes bras en fête

se tient la mort d'une femme

love waltz blue love waltz

 

la femme

ta langue râpeuse et sèche

ta langue qui prend la mienne

ta langue avec sa lourdeur

ta langue qui me dit ton amour

ta langue comme un pays oublié

oiseau je n'ai pas oublié

oiseau oiseau de toutes les couleurs

oiseau  qui m’a rêvé

embrasse moi encore

 

l’homme

je m’asseois pour devenir aigle

et le Temps vole à travers moi

- Restez………………je pars

 

la femme

avec un corps tendu en vase de désespoir                                                                                            

je m'encalice d'amour                                                                                                                          

sur l'autel des adieux                                                                                                                             

- Restez...........…….… je pars                                                                                                                        

 

l'argent

« J'ai passé trente trois ans comme militaire dans la force la plus efficace de ce pays. J'ai franchi tous les échelons de la hiérarchie, du grade de sous-lieutenant à celui de général de division. Et, durant toute cette période, j'ai passé la plupart du temps comme sicaire de première classe pour le haut négoce. En un mot, j'ai été un tueur à gages au service du capitalisme.... »

 Smedley D.Butler – commandant de l’armée des Etats-Unis- Publié dans « Common Sense » en novembre 1935-

 

                                                                                                                                                            

 

  

 

 

 

 

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